Histoire d’une Peinture de Peintre
Fabrice Violante est un artiste avec une culture artistique multiforme. Ses parents, d’origine italienne habitaient la ville de Lille, plus tard, il commence ses études artistiques aux Beaux Arts de Toulon pour les terminer à Lyon.
C’est un trajet “géographique” qui s’inscrit comme un carbone sur celui de la peinture de la renaissance.
L’Italie, la France, la Flandre, sont une trilogie de cultures qui occupe ses différents espaces de création.
Cette trajectoire, accentuée par la passion pour Naples, ville d’origine de sa famille, se traduit par des références impalpables lorsqu’il travaille ses peintures ou dessins.
Les supports sont assujettis à ce qu’il désire nous “divulguer”. La narration se développe par des formules picturales qui offrent aux regardeurs la liberté de l’interprétation, c’est le principe même de l’œuvre ouverte.
Cette multiplicité de lecture est accentuée par une simplicité des moyens employés. Dessins ou peintures se transforment en une alchimie complexe par le mariage des matériaux utilisés et sa façon d’occuper l’espace.
Son approche du dessin se traduit par une virtuosité qu’il prend soin de ne pas mettre au-devant de son travail. Le dessin par l’articulation des lignes entre elles, est souvent très proche de l’acte pictural. Son travail se construit avec le choix permanent de les laisser séparer, ou, de les faire dialoguer sur le même espace, pour le résultat d’une perception graphique de grande qualité.
Les thèmes qu’il prend en compte sont récurrents quelque soit les supports ou les matières dont il se sert. La ville pour ses bâtiments, ses buildings, ses rues, servent de repères à une topologie urbaine qu’il affectionne.
Les paysages à peine effleurés par le geste, s’inscrivent légèrement à la surface des toiles pour que notre mémoire puisse à chaque instant déceler des parties de l’histoire de l’art, du cinéma, de la littérature.
Chez F.Violante la photographie est un témoin immédiat de son environnement. La technicité du Smartphone lui procure une vision instantanée, qu’il emmagasine en continu pendant des trajets en voiture, durant des marches, en compagnie d’amis, dans ses lieux de vie et autres...
Cette cosmogonie de perceptions multiformes, se met en ordre lorsqu’il s’aventure dans différentes séries libres de toutes numérisations chronologique. Les formats, les techniques, les compositions, se mettent en place naturellement, accentuées par leurs différences. Elles existent par elles-mêmes, se croisent parfois, car l’artiste a un besoin profond de les mener de front dans le même temps de la réflexion et de la création.
Une des dernières séries où il traite le dessin, s’est créée avec la rencontre d’un architecte qui lui a offert un nombre important de calques. Cette rigueur du dessin appliqué
avec ces plans aux angles et aux droites parfaites, sont devenus un territoire que F.Violante a exploré par le biais du pastel gras et un travail sur la couleur grise, pour nous donner à lire un grand nombre de possibilités : réalisme, étrangeté, paysage quelconque, fantastique même, sont apparus par le traitement pratiquement sfumato de la peinture italienne classique. Ces masses gazeuses viennent s’inscrire sur la fragilité du papier-calque et ses dessins rigides, ce sont des images riches de sens, qu’il est facile de pénétrer mais où il est difficile d’en sortir.
Cette qualité de dessin/peinture, on la retrouve sous une autre forme à l’intérieur de ses Road books. Ici, le support des calques est abandonné pour être remplacé par un choix de photographies à partir de la mémoire de son Smartphone tirées sur papier numérique. La technique est semblable à celle utilisée sur les calques.
Les photographies nous offrent un voyage où nous prenons place à côté du conducteur Fabrice pour se laisser guider par les cadrages qu’il nous donne à observer. Le double langage de la couleur, traduisant aussi bien la vitesse d’une prise de vue d’autoroute, que la clarté déclinante d’une nuit annoncée à la campagne, se conjugue en continu avec des masses informelles de pastel gris qui se lovent au creux de ces “paysages”.
Cette série nous donne l’envie de voir ou de revoir la série des calques.
Son travail de peinture à l’huile sur toiles est empreint d’un nomadisme des thèmes qu’il approche. Les opportunités des perceptions qui l’entourent sont traduites rapidement par des jus qui relatent une narration de la figure ou du paysage avec une virtuosité, comme s’il voulait imprimer une photographie dans l’immédiat de l’instant.
Cet acte de modernité picturale crée un puzzle où les toiles dialoguent entre elles par petits groupes de trois ou quatre, comme si le fait de créer ces mini-séries, lui permettait d’aborder et de peindre la suivante pour ne pas l’oublier.

Ce qui rend cette pratique étrange c’est lorsqu’on envisage les œuvres dans leur ensemble, leur lecture apparaît cohérente par le simple traitement qu’il applique à chacune des pièces. C’est à l’intérieur de cette vision globale que l’on décèle toute la tradition d’une certaine histoire de la peinture italienne. Par la lumière, la matière, elles me font penser aux fresques de Véronèse, aux tableaux de Botticelli, mais elles n’appartiennent pas à l’école d’un Art de citations, elles nous suggèrent simplement de chercher dans notre mémoire cette partie de l’Histoire.

Cette démarche simple et riche à la fois est un oxymore mystérieux qu’il conjugue avec une grande maîtrise. Il nous donne à voir son travail comme si le regardeur possédait une table de mixage et qu’il devait procéder au montage.
18 Oct 2019   R. H.

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Arrêt sur image  



On n’entre pas dans l’œuvre peinte de Fabrice Violante par la grande porte. On s’interroge d’abord, on observe, on apprivoise doucement le langage pictural du peintre. C’est comme une invitation à participer à un voyage initiatique, Fabrice donne les clés à ceux qui prennent le temps ; le temps de la rencontre. L’œuvre est multiple, fourmillante, protéiforme, mais pour celui qui voit et qui écoute, le fil conducteur est là, indicible souffle vital.

Glissement de l’image, ombres portées, plans resserrés, repentirs, transparence de la couleur, animaux qui s’enfuient, liberté et vitesse du trait, foisonnement de la touche picturale jusqu’à épuisement du médium… Fabrice Violante nous parle de l’essence même de la peinture.
Une peinture qui impose un rituel de préparation, soigneusement, avec méthode, dans le choix et la réflexion de l’acte de peindre. « Le peintre a beaucoup de choses dans la tête, ou autour de lui, ou dans l’atelier. Or tout ce qu’il a dans la tête ou autour de lui, est déjà dans la toile, plus ou moins virtuellement, plus ou moins actuellement, avant qu’il commence son travail… Nous sommes assiégés de photos qui sont des illustrations, de journaux qui sont des narrations, d’images-cinéma, d’images-télé. Il y a des clichés psychiques autant que physiques, perceptions toutes faites, souvenirs, fantasmes. Il y a là une expérience très importante pour le peintre : toute une catégorie de choses qu’on peut appeler “ clichés ” occupe déjà la toile, avant le commencement. » Gilles Deleuze, « Francis Bacon, Logique de la sensation »
La peinture de Fabrice Violante s’exécute dans la rapidité du geste et de l’absolu nécessité de donner forme à une idée. Une idée mais pas seulement, il y a les repentirs, ces recouvrements successifs qui modifient en profondeur la toile, pour masquer ou faire apparaître des objets, des formes ou des figures. Ils transforment l’aspect et engendrent d’autres idées, d’autres références, d’autres histoires.

Chez le peintre, il y a la réflexion, parfois longue, souvent nourrie d’expériences cinématographiques et de références artistiques. Fabrice Violante joue avec les arrêts sur images. Plus exactement il déclenche une pause dans cette série d’images discrètes qui forment un continuum visuel.
Comme le souligne Hervé Bazin dans son texte Qu’est-ce que le cinéma ? Ontologie de l’image photographique : « La photographie ne crée pas, comme l’art, de l’éternité, elle embaume le temps, elle le soustrait seulement à sa propre corruption. »
Pourquoi cette image et pas une autre dans ce flot incessant de clichés ? Parce que cette image-là, justement se rappelle à notre mémoire, elle va nourrir notre imaginaire, s’afficher et nous manifester ce retour à la conscience claire des souvenirs, parfois vagues ou incomplets, difficiles à localiser. Par ce travail minutieux de collecte des images photographiques, Fabrice Violante nous entraîne dans une vision où tout n’est que mouvement,  recommencement peut-être, assemblage et dispersion, recouvrement sans aucun doute, camouflage aussi.
« Paysage camouflage », « Dummy company » ou société fictive, « Titanic », « A monter soi-même », « Road book », « Autres combines « c’est tout un inventaire de titres que le peintre utilise dans ses œuvres et qui nous parlent d’un monde minutieusement détaillé, disséqué et recomposé.
Le travail de Fabrice Violante ne se donne pas à voir directement, il est un procédé intermédiaire entre le langage clair et le code pour assurer le secret des transmissions. Une suite et succession de choses de même nature, sa nature, celle qui le caractérise et qui l’amène à poursuivre sa quête inlassablement.
Et si vous poussez l’analyse encore un peu plus loin, alors c’est tout un monde pasolinien qui vous apparaîtra, un lieu d’affrontement entre la différence et la norme, l’instinct et les institutions, le désir et la religion, le bien et le mal, l’informe et la forme, la moquerie et l’absurdité. 

Dans son discours sur « Qu’est-ce que l’acte de création », Gilles Deleuze énonce ceci : « Un créateur, ce n’est pas un être qui travaille pour le plaisir. Un créateur ne fait que ce dont il a absolument besoin. », Et c’est bien de cela dont il est question dans l’œuvre de Fabrice Violante.



C D B. 2016.
                                                    
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